L'intérêt suscité par l'article de Sosconso intitulé Réservation d'hôtels : peut-on échapper aux agences en ligne ? nous incite à revenir sur l'un des problèmes que rencontrent les touristes: comment trouver un hôtel sur Internet ? De manière étonnante, la difficulté existe, même lorsque l'on connaît son nom.
Prenons l'exemple suivant : à Chartres (Eure-et-Loir), nous voulons trouver l'hôtel Jehan de Beauce. Sur Google, où s'effectuent en France 91% des recherches, tapons "Jehan de Beauce Chartres".
Voici, sur l'impression d'écran ci-dessous, la page qui apparaît: en haut, une zone rosée, consacrée aux résultats commerciaux.
En-dessous, une zone blanche, consacrée aux résultats "naturels", où apparaissent en premier ceux qui reçoivent le plus de clics, et où les professionnels peuvent proposer leurs services sans payer.
C'est seulement dans cette zone blanche qu'apparaît le site officiel de notre hôtel, Jehandebeauce.fr.
Pourquoi l'hôtel que nous cherchons est-il ainsi enterré ? Parce que les mots clés "Jehan de Beauce hôtel Chartres"ont été achetés sur Google par d'autres opérateurs que l'hôtel lui même, en l'occurrence deux agences de réservation en ligne, Booking.com et Hotels.com, ainsi qu'un comparateur, Hotelscombined.fr. "Booking dépense 600 000 dollars par jour en achats de mots clés dans le monde", rappelle Laurent Duc, l'un des représentants de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih).
Comment se positionner en premier sur une page ? "En payant plus cher que les autres", explique Gilles Cibert, le directeur de l'hôtel La Pérouse à Nantes, et fondateur d'un site, Fairbooking.fr, qui entend favoriser la réservation en direct auprès des hôteliers.
Voici, sur l'impression d'écran ci-dessous, la page qui apparaît lorsque l'on tape le nom de son établissement : en haut, dans la zone rosée, l'adresse de son site (hotel-laperouse.fr). Chaque fois qu'un internaute clique sur ce lien, M. Cibert verse quelque 3 euros à Google.
En-dessous, dans la zone blanche, on retrouve son adresse. Si l'on clique dessus, M. Cibert ne versera rien à Google.
M. Cibert a déposé les mots clés "hôtel La Pérouse Nantes" à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Il en a ensuite informé Google, pensant que le moteur de recherches n'aurait pas le droit de les vendre.
Il s'est trompé : "Toute personne peut utiliser un nom, une marque et des noms de domaine pour des campagnes de marketing via Adwords, même si la marque ou le nom de domaine a fait l'objet d'un dépôt", en vertu de deux arrêts rendus par la Cour de justice de l'Union européenne au mois de mars 2010 (C-236/08 et C-238/08). M. Cibert pourrait attaquer les sites qui feraient usage de ces mots-clés, mais pas Google.
Revenons sur Internet. Nous pensons enfin avoir trouvé l'hôtel La Pérouse à Nantes. Or, que se passe-t-il si, en-dessous de l'adresse qui se trouve dans la zone blanche, nous cliquons sur le prix affiché, de 69 euros? La fenêtre suivante s'ouvre:
Cette fenêtre, rosée, renvoie à Booking.com et Venere.com, deux agences de réservation en ligne. Elle indique des prix (69 et 71 euros), sans les détailler, et alors que l'internaute n'a pas encore précisé les dates de son séjour - or les prix varient en fonction de la localisation de la chambre et de ces dates!
En revanche, le nom de l'hôtel s'affiche dans la zone blanche en-dessous de ces liens publicitaires, sans indication de prix: cela laisse croire que la réservation n'est pas possible sur le site officiel, ou que le prix sera plus élevé que sur les agences de réservation en ligne.
Google utilise encore une autre manière de détourner l'attention de l'internaute, en proposant des avis. Ces avis, qui ne proviennent pas d'utilisateurs du site officiel, n'ont rien à faire dans la zone blanche.
Les hôteliers ont protesté contre ce qu'ils considèrent comme une distorsion de concurrence, auprès de la Commission européenne, au mois de juin. L'association French Hospitality in Europe, qui regroupe cinq organisations professionnelles des secteurs de l'hôtellerie et de la restauration (Cpih, Fagiht, Gnc, Synhorcat et Umih), et que préside M. Duc, trouve anormal que Google mélange allègrement résultats naturels et liens commerciaux.
Elle estime que "la fonctionnalité insérée par Google, dans l'espace dédié aux résultats naturels, à l'intérieur des informations concernant l'hôtel, détourne l'internaute du site de l'hôtel vers celui d'intermédiaires". Les agences de réservation en ligne peuvent ainsi "récupérer un client qui n'aurait jamais dû échapper à l'hôtelier".
Rappelons que les agences de réservation en ligne prélèvent des commissions auprès des hôteliers. Entre 2008 et 2013, ces commissions ont augmenté bien plus vite que le chiffre d'affaires des hôteliers, comme le montre le graphique ci-dessous :
Rafaele RIVAIS