Les comportements anticrise ont eu raison de la saison touristique

25/08/14
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La saison touristique s'achève sur un bilan médiocre. « Le mois d'août ne rattrapera pas le mauvais mois de juillet », note d'emblée Guylhem Féraud, le président de la Fédération nationale de l'hôtellerie de plein air (FNHPA).

 

Plus de 60 % des gestionnaires de camping disent avoir moins bien travaillé en juillet 2014 qu'un an plus tôt, d'après un sondage réalisé par la FNHPA ; et deux tiers d'entre eux déclarent avoir enregistré, en août, un niveau de réservations analogue à celui observé un an plus tôt.

 

L'industrie hôtelière n'est pas plus enthousiaste. « Le mois de juillet a été difficile. Août se maintient », résume Hervé Becam, vice-président de l'Union des métiers de l'industrie hôtelière (UMIH).

 

CHIFFRE D'AFFAIRES ÉTALE

Le baromètre MKG, qui mesure le revenu moyen par chambre des établissements hôteliers français, le confirme partiellement. « Il est en recul de 1,9 % sur le mois de juillet. Mais il grimpe à + 11,8 % sur les dix-huit premiers jours d'août », note Georges Panayotis, le président de ce cabinet d'études spécialisé dans l'hôtellerie. La saison devrait s'achever sur un chiffre d'affaires étale, selon MKG.

 

A l'exception de la Bretagne, où l'activité touristique s'est maintenue, chaque région a eu son lot de déceptions. En Corse, elle a été affectée par la grève des salariés de la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM) au printemps. « Ce conflit a dissuadé les touristes d'y réserver un séjour d'été. Résultat : certains hôteliers affichent des baisses d'activité de l'ordre de 30 % en juillet », avance M. Becam.

 

Ailleurs, c'est la météo qui a refroidi les envies de maillot de bain. En Dordogne, la pluie a douché les juillettistes. Dans le Pays basque, les tempêtes ont balayé les plages. Début juillet, lorsqu'il est tombé en vingt-quatre heures autant de pluie qu'en un mois, la baignade fut interdite, par arrêté municipal, durant plusieurs jours sur les onze plages d'Anglet (Pyrénées-Atlantiques). Au grand dam des hôteliers et restaurateurs, qui débutaient leur saison.

 

EFFET PERNICIEUX DE LA CRISE

Rebelote le 12 août, quand dix-huit départements d'un grand quart sud-ouest de la France ont été placés en vigilance orange pour orages, vents, pluies et risques d'inondation. Or, « la météo est devenue un facteur déterminant dans la décision de partir ou non en vacances », raisonne M. Becam. Aussi, les Français ont profondément modifié leurs habitudes avant et pendant leurs vacances.

 

D'abord, ils se décident au dernier moment. « Il y a quinze ans, une réservation s'effectuait trois mois à l'avance. Puis, ce fut trois à huit jours avant le départ. C'est désormais du “H-24”, en fonction des prévisions que l'on peut trouver sur Internet », assure M. Becam.

 

Il faudrait y voir un autre effet pernicieux de la crise. D'une part, le chômage ou la peur de perdre son emploi pousserait les Français à se déterminer tardivement. Et, d'autre part, aux yeux des vacanciers, un départ en dernière minute permettrait de décrocher des prix plus avantageux.

 

BUDGET COMPRIMÉ

Dépenser moins sur son lieu de vacances est devenu une ligne de conduite. « C'est habituel : les arbitrages budgétaires des Français épargnent les vacances. Encore plus au sein des familles. Les vacances, c'est comme Noël, il est hors de question d'en priver les enfants », note Philippe Moati, cofondateur de l'Observatoire société et consommation (Obsoco). Mais cette sanctuarisation se fait au prix de contorsions. Sur place, les Français compriment leur budget.

 

Tout est bon pour alléger la note. Ces comportements se sont même radicalisés d'après les professionnels du tourisme. « Cela fait longtemps que les familles pique-niquent à l'heure du déjeuner, font une croix sur le cornet de glace à la plage ou demandent une deuxième cuillère pour un seul dessert commandé au restaurant. Maintenant, le soir, on les voit partager un menu », note M. Becam.

 

Pour les mêmes raisons, depuis 2008, les Français préfèrent le camping à une location saisonnière ou à un hôtel. En 2013, le nombre de nuitées vendues dans les établissements dits « de plein air » – les campings – a atteint le record de 108 millions, soit deux fois plus qu'il y a quinze ans. Ce niveau devrait se maintenir en 2014.

 

CHANGEMENT D'HABITUDE

Mais, ici aussi, les familles ont changé leurs habitudes. « Elles choisissent les mêmes mobil-homes, mais écourtent la durée du séjour », note Guylhem Féraud. Il y a là un manque à gagner pour les professionnels du tourisme.

 

La chasse aux bonnes affaires profite cependant à de nouveaux opérateurs. C'est notamment le cas des transporteurs low cost. Eurolines devrait ainsi franchir la barre des 80 000 voyageurs transportés en 2014, contre 75 000 en 2013 et 50 000 en 2012.

 

La compagnie, spécialisée dans le trajet en car à prix discount en France et vers l'étranger, est très connue des étudiants et des travailleurs à faibles revenus. « Mais, depuis peu, on voit des familles avec enfants et des seniors », observe Antoine Michon, le directeur général de la société.

 

Cet été, Blablacar a aussi élargi sa base de clientèle. Le site de covoiturage qui dit assurer des « trajets trois à quatre fois moins chers qu'en train » a doublé son trafic en 2014 par rapport à 2013. Désormais, 9 millions de personnes sont inscrites sur ce site implanté dans douze pays.

 

« Les Français modifient la façon d'accéder à ce dont ils ont besoin : le covoiturage pour leur trajet automobile, partir en vacances chez un membre de la famille plutôt que dans une maison de location, etc. », décrypte Philippe Moati. Il y a fort à parier que, même si le climat conjoncturel venait à s'éclaircir, les Français conserveraient longtemps ces habitudes anticrise. La prochaine saison d'hiver devrait le confirmer.

 

Par Juliette Garnier