Les pratiques monopolistiques de Booking.com ou Expedia.fr inquiètent les hôteliers et les pouvoirs publics.
Peut-on encore lutter contre l’irrésistible ascension des centrales de réservation en ligne ? Plébiscités par les internautes, mais dénoncés par les hôteliers pour abus de position dominante, les sites Booking.com ou Expedia.fr sont dans le collimateur de Bercy. Leur crime ? S’être rendus indispensables, avant de devenir hégémoniques.
«Je dois être l’un des derniers hôteliers de Bretagne à signer avec Booking.com. J’ai beaucoup résisté, mais je n’avais guère le choix», déplore Michel Violant, propriétaire de l’hôtel Ker-Moor, à Concarneau. J’étais tombé à 20% de réservations en 2012. Et là, avec Booking, je suis bien remonté.» Même réflexion pour l’hôtel Cap Hornu, gentilhommière située au cœur de la réserve naturelle de Marquenterre, dans la baie de Somme : «Si on ne se met pas sur Booking.com, on va se faire éjecter du marché», analyse un porte-parole de la réserve naturelle.
Combien d’hôtels résistent encore ? Les groupes américains Expedia (qui exploite les sites Expedia.fr, Hotels.com, ou Venere.com) et Priceline (dont Booking.com est la marque vedette) ne publient aucune donnée sur leur activité en France. Booking renvoie à son site, qui évoque 29 484 adresses d’hébergement (hôtels, villas chambres d’hôtes…). Expedia répond par une présentation Powerpoint, proche de la plaquette publicitaire.
«Attraction». Le président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), Laurent Duc, estime que «80% des hôtels ont succombé à l’attraction» de Booking, et un peu moins aux sirènes d’Expedia. Il faut dire que 70% des consommateurs en quête d’un hébergement se seraient rendus en 2012 sur Booking.com, selon un baromètre (Kantar Media Compete). «Internet est en train de supplanter les canaux traditionnels, avec une chambre sur quatre vendue sur un site», ajoute Didier Chenet, président du Synhorcat, le Syndicat des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs. «Une sur trois», renchérit Laurent Duc, à l’UMIH.
Depuis leur arrivée en France au début des années 2000, les deux géants ont accru leur emprise. A commencer par le montant de leurs commissions, dénoncent les syndicats d’hôteliers. Michel Violant a ainsi fait ses calculs pour ses 11 chambres à Concarneau : «Ils me prennent 15% de ma recette. L’équivalent de ce que je dois mettre chaque année de côté pour rénover mes chambres. Si je les donne à Booking, j’en ferai moins.» D’où son inquiétude : «Si l’expérience est positive à court terme, elle peut être mortelle à longue échéance.» Laurent Duc, lui-même hôtelier à Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon, se voit ponctionner 25% par Expedia : «Quand mon client paye une chambre 100 euros, il la règle à Expedia, aux Etats-Unis, qui me rétrocède par virement 75 euros.»
Les hôteliers fustigent aussi une autre contrainte imposée par les sites de réservation : l’interdiction de moduler à la baisse leurs tarifs. On appelle cela «l’obligation de parité tarifaire». Une fois fixé sur une centrale d’achat, le prix des chambres vendues en direct ne peut plus faire l’objet de promos. Sauf à en faire profiter les clients des centrales. «Et s’ils prennent l’hôtelier en flagrant délit, ils peuvent le traîner en justice», dénonce Didier Chenet, du Synhorcat. Les hôteliers indépendants ont donc tendance à négliger leur propre site web… et passer plus rapidement encore sous la coupe des centrales.
La bagarre des hôteliers contre les sites a pris un nouvel élan cet été, avec la saisine par deux syndicats de l’Autorité de la concurrence. Ils dénoncent «le durcissement radical des clauses contractuelles» et accusent Booking, Expedia et HRS (une centrale allemande) «d’abus de position dominante collective». Outre la parité tarifaire, les auteurs de la saisine critiquent «la parité de disponibilité», ou l’obligation pour l’hôtelier de proposer à la plateforme tout ce qu’il affiche sur les autres canaux. Dans leur viseur également, la confiscation de leur enseigne, via l’achat de mots-clés, l’utilisation des photos en bafouant leurs droits de propriété intellectuelle… Réponse ? Dans dix-huit mois, au mieux.
Étau. La DGCCRF (les agents de la répression des fraudes) est également sur le pont. Elle a terminé son étude des contrats litigieux. Et promet d’éventuelles suites : «Poursuivre pénalement par voie de procès-verbal ou assigner au civil pour faire disparaître des clauses abusives.» L’entourage de Benoît Hamon, ministre délégué à la Consommation, se garde lui aussi de toute précipitation : «Nous allons regarder si l’arsenal juridique pour assurer des relations équilibrées est suffisant. Et nous attendons l’avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales», structure paritaire regroupant parlementaires, juristes et professionnels .
Razzy Hammadi, député PS, est plus pressé. Il vise la deuxième lecture, en novembre, du projet de loi sur la consommation (dont il est le rapporteur) pour faire interdire la parité tarifaire et desserrer ainsi l’étau : «Je ne me résous pas à voir l’industrie hôtelière vassalisée par des sites internet qui, de surcroît, ne paient pas leurs impôts en France», dit-il à Libération.
Michel Violant, lui, revient sur ses comptes : «J’ai versé à Booking 700 euros en mai, autant en juin, 1 500 euros en juillet, 1 700 en août… pour onze chambres.» Et s’interroge : «A quoi servent les offices de tourisme et les multiples comités de promotion de l’hôtellerie à qui je fais des chèques ?» Il vient d’ailleurs de stopper sa cotisation au Syndicat des hôteliers…
Par CATHERINE MAUSSION