En posant la question de la fiscalité applicable au numérique, le Conseil européen des 24 et 25 octobre dernier a posé les premiers jalons d'une prise de conscience des vrais enjeux d'une régulation efficace du numérique par les Européens. Pour des secteurs comme les nôtres, ces enjeux sont d'une brûlante actualité. Car qu'y a-t-il de commun entre l'industrie hôtelière et les industries culturelles ? D'abord, nos secteurs se distinguent par une forte intensité en emplois : plus de 1 million pour la culture et près de 900.000 pour l'hôtellerie-restauration. Ces emplois ont pour caractéristiques d'être en très large majorité non délocalisables, présents sur l'ensemble du territoire et extrêmement variés, offrant des possibilités d'embauche pour des jeunes diplômés mais aussi sans formation, dans un pays où le chômage des jeunes et les barrières à l'entrée dans le monde du travail sont deux des pires symptômes de la crise.
Ensuite, la taille des acteurs économiques y est d'une grande diversité, depuis les grands groupes de taille internationale et même leaders mondiaux dans leur secteur, jusqu'aux TPE et aux autoentrepreneurs.
Enfin, nos secteurs sont à la fois pleinement acteurs du numérique et fortement ancrés dans le quotidien de nos citoyens et dans le tissu territorial : se retrouver autour d'un repas, socialiser et sortir, écouter de la musique, aller au cinéma ou lire, jouer aux jeux vidéo, visiter un musée ou une exposition sont des expériences quotidiennes, positives et partagées par des millions de Français.
Or, une menace sérieuse pèse sur notre développement : nos secteurs souffrent d'une régulation asymétrique, véritable « exception numérique » qui favorise les acteurs « over the top », grandes entreprises non européennes du numérique. Celles-ci pratiquent des stratégies très efficaces de contournement fiscal et de territorialisation hors de France, se trouvent bien souvent dans des positions anormales de domination du marché, et créent très peu d'emplois en Europe. Selon une étude récente de Roland Berger, un traitement de droit commun signifierait pour ces groupes de payer 22 fois plus d'impôts en France qu'ils ne le font.
Pour nos secteurs, qui sont l'avenir de l'emploi et de la croissance, il faut choisir maintenant. Dans quelques mois, une Commission européenne et un Parlement européen nouveaux se mettront en place. Pour que les cinq prochaines années ne soient pas perdues, il faut en finir avec les discours incantatoires qui voudraient donner comme seule perspective à la stratégie numérique européenne le maintien, à notre détriment, d'un régime exorbitant au profit de quelques grands acteurs extracommunautaires, au nom d'une ambition qui relève plus de la pensée magique que de la stratégie industrielle réaliste, de créer un « Google européen ». C'est au nom de cette « stratégie » que le programme Quaero a pu bénéficier de 198 millions d'euros d'investissements européens, pour le résultat qu'on connaît : son discret abandon.
Pourtant, une stratégie industrielle volontariste et réaliste est possible en France comme en Europe. Elle doit d'abord viser à appuyer des secteurs aussi divers que les nôtres, qui ont en commun de représenter les emplois d'aujourd'hui et de demain en Europe.
Roland Héguy et Jean-Noël Tronc
Roland Héguy, est président confédéral de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie.
Jean-Noël Tronc est directeur général de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem).